Dans cet article, je souhaite donner un retour d’expérience sur le déroulement de l’invitation d’une compagnie professionnelle et quelques anecdotes croustillantes sur l’achat d’un spectacle et le règlement des droits d’auteur en France…
Si les noms de compagnie ou de spectacle utilisés dans cet article révèlent de la fiction, les montants évoqués et les faits racontés sont représentatifs de la réalité.
Étape 1 : Acheter un spectacle
Combien ça va me coûter ?
Vous êtes responsable de la programmation dans une salle de spectacle. Vous souhaitez que la compagnie ZouZou Théatre présente son spectacle ZouZou chez les Zouzizou parce que vous l’avez vu au festival Machin Truc’ festival et vous avez eu un coup de cœur dessus.
De ce pas, vous contactez la compagnie ZouZou Théâtre et vous leur demandez combien ça coûte pour que vous présentiez ZouZou chez les Zouzizou dans votre salle de spectacle.
Comme ZouZou Théâtre c’est pas de la m** et qu’ils ont de très très bonnes critique de presse tout partout, vous vous attendez à ce que le prix soit un peu élevé.
Mais vous ne vous laissez pas impressionner, c’est un bon spectacle et vous souhaitez qu’un maximum de personnes le voit ! Vous vous dites que vous allez présenter ZouZou chez les Zouzizou pour deux soirs dans votre salle.
Zouzou Théâtre vous répond :
Trop bien, merci de penser à nous ! On sera ravi de jouer dans votre salle. Voici notre devis, bisous.
Cachet du spectacle (2 soirs): 4500€
+ Vous payez les droits d’auteur
+ Vous payez le transport aller-retour Lyon-Paris en train des 4 comédiens de ZouZou chez les Zouzizou
+ Vous logez les 4 comédiens en chambre single (2 nuits)
+ Vous nourrissez les 4 comédiens
De votre côté, vous savez que vous devrez aussi payer la présence de l’agent de sécurité incendie SSIAP lors des soirs de spectacle et que vous allez payer des flyers et de la publicité pour la communication de l’évènement. Logiquement vous estimez les dépenses prévisionnelles :
- Pour les frais de bouche, vous comptez tous les repas + catering et extras (type vin ou bière) pour 4 ( théoriquement 2 petits dej, 2 diners, 1 déjeuner).
- Les frais de transports sont estimés par la compagnie à 500€.
- Les droits d’auteur sont calculés d’après une simulation sur le site de la SACD (Société des Auteurs et Compositeurs Dramatiques), pour demander les droits. Obligatoire pour toute représentation !
Comment je vais payer ?
Ça fait tout de même une certaine somme. Comme votre salle de spectacle est gérée par des étudiants, et qu’elle se situe sur un campus universitaire, vous savez que vous êtes éligible à plusieurs subventions de la part de la ville, de votre école, etc…
Motivé comme jamais, vous faites des dossiers de subvention et vous présentez votre projet aux organismes qui pourront potentiellement vous donner de l’argent. Dans votre cas, les demandes de subventions se passent plutôt comme ça :
– Je veux des sous-sous pour faire ça parce que c’est trop bien pour telle ou telle raison, vous voulez donner?
– Ok
Malheureusement, les organismes subventionneurs ne suffiront pas à couvrir toutes les dépenses. C’est pourquoi vous prévoyez que votre association apporte un fond propre de 1500€ dans le projet, et que la somme manquante proviendra de la vente des billets le soir du spectacle. Pour résumer, les organismes subventionneurs et l’apport propre de votre association va vous permettre de vendre des billets à petit prix pour que votre événement soit accessible à tous.
Comme l’objectif n’est pas de vous faire de l’argent sur l’évènement (vous êtes une association à but non lucratif, pas le PDG de Total), vous prévoyez donc des recettes prévisionnelles égales aux dépenses prévisionnelles :
Votre marge de manœuvre ici, c’est les recettes de la billetterie. Vous les avez estimé connaissant toutes les autres subventions et votre apport fond propre.
Sur deux soirs, en estimant des frais de billetterie à 1531,6€, et en prenant en compte le fait que vous allez avoir un tarif plein et un tarif réduit, vous vous dites :
Je vais présenter ZouZou chez les zouzizou dans une salle où il y a habituellement 124 spectateurs par soir de spectacle. Sauf que là, je vais mettre le paquet sur la comm’. La salle a 370 places assises. Si je vends 95 places en tarif réduit et 95 en tarif plein par soir de représentation, cas où la salle est pleine à 50% avec 190 spectateurs par soir, je peux faire un tarif réduit à 3€ et un plein tarif à 5€
2 soirs x (95*3€ + 95*5€) = 1520€
OK, je colle à peu près au 1531,6€ attendus pour la billetterie.
Dans ce cas fictif, vous avez obtenu toutes les subventions attendues. Votre principale variable sera le nombre de billets vendus. Allez-vous vendre le nombre de places attendu ? C’est une variable très difficile à estimer…
Étape 2 : Présenter le spectacle
Ça y est, le spectacle arrive à grand pas !
Entre temps, vous avez reçu un remboursement des 304,60€ des droits d’auteur versés à la SACD, sans explications claires à ce sujet. Vous en déduisez que c’est parce que vous êtes une structure associative à but non lucratif et que vous êtes exempté des droits dans ce contexte (mais ce n’est que supposition).
Voici vos résultats de fréquentation :

Vendredi. 9h. Vous attendez les comédiens au pied de l’hôtel avant leur départ pour restituer les clés.
Pour vous, ce n’est que le début de votre épiphanie1…
Étape 3 : L’après spectacle
En rendant les clés à la réception de l’hôtel, on vous annonce que les comédiens n’ont pas payé leurs consommations. Comme la réservation est à votre nom, pas d’autre choix que de régulariser de votre poche. La réceptionniste vous fait une faveur : elle sait que vous n’avez pas occupé les chambres réservées. Elle ne vous fait pas payer.
– Ben merci alors, au revoir !
C’est ce qu’on appelle se faire Zouzouter.

Dans la foulée, vous rentrez à la salle de spectacle, faire un rapport aux subventionneurs pour leur dire comment s’est passé l’évènement. Si vous avez respecté votre balance budget prévisionnel, quelles sont vos dépenses et recettes réelles,…
Vous avez reçu un courrier de la fameuse SACD, vous demandant de déclarer les représentations : Quel était le nombre de spectateurs ? Quelle a été votre recette ? Quel était le coût du spectacle ?
Comme vous avez reçu un remboursement de leur part, vous décider les contacter par téléphone pour éclaircir tout ça.
– Bonjour, j’appelle pour régulariser une déclaration de représentation, numéro de dossier xxx. Nous avions déjà réglé des droits d’auteur mais avons été remboursé. Maintenant je viens de recevoir le bulletin de déclaration, que dois-je faire ?
– En effet, lors de votre première déclaration, la compagnie ZouZou Théâtre avait été déclarée comme une compagnie « amateur non fédérée ». Comme ils ont joué pour vous en tant que compagnie professionnelle, nous avons annulé votre premier règlement de droits de 304,6€
– Ah, désolé, c’est de ma faute, c’est la première fois que je fais une telle déclaration…
– Non, ce n’est pas de votre faute, il arrive que cette compagnie joue avec le statut d’amateur non fédéré.
– Ah, ok, mais du coup, quid des droits à payer ?
– Les droits à payer sont soit proportionnels au cachet du spectacle, soit proportionnel à vos recettes de billetterie, selon le montant le plus élevé.
– D’accord. Vous pouvez me faire une simulation si je vous dis que le cachet est de 4500€, pour 280 spectateurs et une recette de billetterie de 870€ ?
– Oui, dans ce cas, le montant des droits à payer est de…. 627,90€
PAUSE !
Les droits à payer servent à rémunérer l’auteur d’un texte de théâtre pour son travail d’écriture. La SACD s’assure que pour une compagnie qui joue la pièce d’un auteur, cet auteur soit rémunéré.
En l’occurrence, plus la compagnie est payée (aka le cachet est élevé) plus les droits de l’auteur vont être élevés. Si le montant de la billetterie est plus élevé que le montant du cachet, alors les droits seront calculés proportionnellement à cette recette.
La logique qui est derrière est simple : plus une compagnie va se rémunérer avec le texte d’un auteur, plus l’auteur devra être dédommagé pour son travail.
Si la compagnie Zouzou Théâtre se fait + d’argent sur le texte de Monsieur X, pourquoi Monsieur X ne se ferait-il pas aussi plus d’argent ? Si l’organisateur du spectacle a une billetterie qui a bien marché et que le spectacle est un succès, pourquoi monsieur X ne se ferait-il pas plus d’argent aussi ?
Voilà comment fonctionne du règlement des droits d’auteur…
Jusque là, même si la logique est plutôt capitaliste, elle tient parfaitement la route. Après tout, la compagnie Zouzou Théâtre, qui joue le spectacle Zouzou chez les zouzizou écrit par Monsieur X va faire une représentation du texte de l’auteur. Monsieur X court un « risque » en voyant son texte présenté par une compagnie : si la compagnie propose une mise en scène désastreuse, cela pourrait entacher la réputation du texte de Monsieur X.
But wait, there’s more !
Maintenant, je vous dis que Monsieur X, qui a écrit le texte Zouzou chez les zouzizou, est le fondateur de la compagnie Zouzou Théâtre.
Cela signifie qu’en payant un cachet de 4500€ à la compagnie Zouzou Théâtre, vous participez directement à favoriser le travail d’écriture du texte de Monsieur X !
Reprenons notre conversation au téléphone avec la SACD :
– Mais le fait que Monsieur X appartienne à la compagnie Zouzou Théâtre ne change rien dans le reglement des droits ?
– Non.
Alors que vous allez déjà devoir payer la compagnie Zouzou théâtre avec son cachet, vous allez aussi devoir rémunérer le fondateur de la compagnie Zouzou théâtre, auteur du texte.
Conclusion : Plus je paye la compagnie Zouzou Théâtre, plus je dois payer le créateur de la compagnie Zouzou Théâtre.
On croirait marcher sur la tête.
D’autant plus que la SACD ne vous demande même pas si vous avez eu des subventions pour votre spectacle, elle s’en fiche. Ce qu’elle sait (et qui lui suffit) pour le calcul des droits, c’est que :
- Vous avez payé la compagnie Zouzou Théâtre à auteur de 4500€
- Vous avez des recettes de billetterie de 870€
Et si nous n’avions pas eu d’autres financements/subventions ? Comment est-il acceptable que vous devez payer l’auteur du texte 627,9€ alors que vos recettes de billetterie sont de 870€ ? Techniquement, vous êtes en déficit de 4257,9€…
Un chose est sûre, la SACD a réussi sa mission 2 !

Est-ce que ça aide à mieux comprendre pourquoi certains auteurs refusent systématiquement les demandes de droits pour que d’autres compagnies puissent jouer leur texte ?
Le déroulement de l’achat du spectacle de la compagnie ZouZou Théâtre et du règlement des droits me fait penser à l’auteure Yasmina Reza. Ses pièces (Art, Carnage,…) , de grande qualité, ont rencontré un grand succès. En revanche, elle refuse systématiquement les demandes de droits de compagnies souhaitant interpréter ses textes.
« La pièce a été écrite en un mois et demi, spécialement pour Arditi, Vaneck et Luchini. »A propos de Art, de Yasmina Reza« si Art devenait un film, sa carrière sur les planches, à l’étranger, était compromise. »Etienne Sorin, pour LeFigaro.fr
Pourquoi céder à autrui une création alors qu’on peut en obtenir le beurre et l’argent du beurre ?
Yasmina Reza s’est exprimée au sujet des refus des droits :
« On gâche très vite le meilleur de soi à faire n’importe quoi. L’écriture est autre chose qu’un métier ou un moyen de gagner de l’argent. J’aimerais mieux faire des ménages pour vivre que me galvauder.» »Yasmina Reza à propos de Art. Propos recueillis par Liban Laurence, pour l'Express
« L’écriture est autre chose qu’un métier ou un moyen de gagner de l’argent »
Vraiment ? Monsieur X doit être bien d’accord avec vous !